Auteur : Gérard Pelletier

Qu'est-ce qui pousse un homme à écrire des mémoires ou, plus modestement, des souvenirs ?

Pour certains, sans doute, c'est la nostalgie, le goût de se remémorer des jours heureux, la délectation morose dont parlaient les anciens moralistes. D'autres cèdent peut-être à l'ambition de passer à la postérité : ayant quelque raison de douter que personne n'écrive jamais leur biographie, ils s'en chargent eux-mêmes. D'autres encore ont des comptes à régler. Retraités, ils ne peuvent plus agir. Ils s'en remettent donc à l'écriture d'équilibrer des bilans dont le passif les gêne.

D'autres enfin, dont je suis, ni retraités ni nostalgiques, fondamentalement disposés à laisser dormir un passé encore chaud, nullement enclins au retour en arrière quand l'avenir les sollicite encore de toutes ses exigences, cèdent à l'irritation. C'est l'Histoire instantanée, une invention de notre fin de siècle, qui les provoque. Comment donc pourraient-ils lire sans impatience les récits fantaisistes qu'on publie déjà sur leur passé récent, sur des événements qu'ils ont vécus hier, dont ils sont encore mal dépêtrés parce qu'ils s'y étaient engagés sans réserve, et qu'ils retrouvent tout déformés dans des livres qu'on imprime, qui se vendent au coin de la rue ?

Le principal mérite de l'Histoire instantanée (comme on dit café instantané), c'est sans doute de retenir dans ses filets mille détails qui, sans elle, auraient disparu sans laisser de traces quand viendra le moment d'écrire l'Histoire véritable. Mais si les auteurs en cause, professionnels du passé défini, ceux-qui-racontent-les-souvenirs-des-autres, inventent ou propagent des détails faux, s'ils accréditent des légendes…

Voilà ce qui m'a poussé à écrire ces pages : le souci de verser au dossier mon propre témoignage, partiellement inexact, sans doute, comme tous les autres, mais susceptible aussi de jeter sur certaines situations que j'ai vécues un éclairage moins indirect. Gérard Pelletier